Le marché informatique, un marché d’élites où il n’y a pas de place pour les moyens

 

L’inadéquation des compétences explique en partie le chômage des informaticiens. Hugues Truttmann, chasseur de têtes pour les acteurs du numérique, analyse ce marché où il faut être le meilleur car l’informatique est stratégique pour les entreprises.

 

46 000 chercheurs d’emploi dans le secteur des systèmes d’information et de télécommunication en juillet 2015, catégories A, B et C confondues, contre 41 900 en juillet 2014, soit une hausse de 9,8% en un an : tels sont les derniers chiffres communiqués par le Ministère du Travail. En parallèle, l’APEC annonçait dans son indicateur mensuel de juillet une hausse de 9% par rapport à l’an dernier des offres d’emploi cadres dans le secteur. Or cette hausse ne donne qu’une vision biaisée de ce marché de régie, 80% des donneurs d’ordre en recrutement sont en effet des ESN (Entreprises de services numériques, ex SSII).

 

Le nombre d’offres d’emploi donne une vision biaisée du marché

 

Et pour cause, le nombre d’offres ne correspond pas au nombre de postes ouverts. « Une banque, par exemple, travaille avec des prestataires externes et a besoin d’un développeur Java. Elle en fait part à dix ESN et chacune va diffuser une offre. On a donc dix offres pour un seul poste », explique Hugues Truttmann, recruteur pour les acteurs du numérique. Si l’on ajoute le fait qu’elles diffusent aussi des offres d’emploi pour travailler leur notoriété et alimenter leurs viviers de candidats, on comprend que le nombre d’offres ne peut être un indicateur fiable, d’autant moins qu’il s’agit plus d’un marché en renouvellement qu’en croissance. Par ailleurs, l’obligation pour une ESN de sortir de chez son client au bout de trois ans, pour éviter le délit de marchandage (article L125-1 du Code du travail), est un autre phénomène qui impacte l’emploi des informaticiens.

 

« La pénurie d’informaticiens top niveau complique les recrutements sans profiter aux moins bons profils »

 

Du côté des candidats convoités par les entreprises, à savoir des ingénieurs Bac+5, la tendance est à aller voir en Suisse, au Luxembourg, à Berlin, en Grande-Bretagne, au Canada si l’herbe est plus verte. Pour un développeur Java, elle l’est : il gagnera deux fois et demi fois plus en Suisse qu’en France, deux fois plus au Luxembourg et une fois et demi plus en Allemagne.

 

Cette tendance n’augure pas une ouverture à des profils moins formatés et ne résout pas les difficultés d’emploi des chômeurs du secteur qui sont principalement des seniors de plus de 50 ans, lourdement pénalisés par leur âge et la non-mise à niveau de leurs compétences, des jeunes diplômés, plutôt d’origine étrangère, et des profils atypiques de niveau Bac+2/3. Trouver un poste dans une ESN ou chez un grand compte est également compliqué pour ces derniers, ils ont théoriquement plus de chances en PME sauf qu’elles souffrent actuellement. Alors qu’on annonce un manque de 50 000 développeurs en France, « la pénurie d’informaticiens top niveau complique les recrutements sans profiter aux moins bons profils », constate Hugues Truttmann.

 

Se former en permanence et réaliser des choses, seuls moyens de rester dans la course

 

C’est la techno qui veut ça, la fulgurance de ses évolutions demande aux pros des IT de rester constamment à la pointe de l’état de l’art, et d’être « agiles » – un état d’esprit qui fait défaut aux plus seniors. « Il y a un monde actuellement entre un ingénieur jeune diplômé et un informaticien qui a vingt ans de métier », remarque notre interlocuteur. C’est aussi la rigidité des critères des donneurs d’ordre, en attente de profils hyper formatés, c’est aussi le recrutement en France, trop fermé, les formations qui ne suivent pas les besoins du marché ce qui explique en partie qu’il soit difficile de se mettre à niveau. Si les grandes écoles d’ingénieurs forment les informaticiens à s’adapter très vite aux nouveaux langages, on n’a pas encore de recul sur l’enseignement des nouvelles telles que l’école 42, ou Simplon.co, WebForce3… Et que présumer de l’accueil qui sera fait aux profils issus de ces écoles si les critères de recrutement restent inchangés ?

 

Dans un contexte de déferlante numérique de grands domaines porteurs (big data, e-commerce, développement de solutions mobiles), qui emporte sur son passage les technologies obsolètes, il faut redire à quel point l’employabilité des informaticiens dépend de leur capacité à se former et à s’auto-former aux bonnes technologies : C#, Java et les technologies qui en découlent, ainsi que les technos mobiles IOS, Android et Windows mobile. Il s’agit d’être conscient de ses lacunes et de sa valeur sur le marché. « Si on n’a pas suffisamment bougé, cette valeur s’est fortement détériorée, de longues expériences statiques ne sont pas une bonne chose dans ces métiers, insiste Hugues Truttmann. Il faut faire des choses, c’est encore mieux que la formation : vous avez un site e-commerce, une application mobile à votre actif ? Montrez-les ! »

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